5.
Un nuage de sable flottait au-dessus du chemin. Cela faisait comme un brouillard jaune.
L’homme était à bout de souffle. Il avait couru sans s’arrêter. Devant ses yeux, s’élevaient encore ces volutes poudreuses, mais il ne devinait même plus, au travers, la silhouette diffuse de la voiture de son maître. À chaque fois qu’il avait atteint le sommet d’un talus, à chaque fois qu’il avait pu porter au loin son regard, il avait espéré découvrir les hommes arrêtés près du véhicule, ou mieux encore, les voir revenir sur leurs pas.
Il ne voulait plus avoir de faux espoirs. Cependant, à l’approche de chaque côte, il ne pouvait s’empêcher de gravir la pente en courant, comme s’il avait voulu se hisser sur la pointe des pieds pour s’élever au-dessus de l’obstacle qui barrait sa vue. Mais du haut de son promontoire, c’était toujours la même chose qu’il découvrait, toujours la même poussière soulevée par la carriole et qui tardait à retomber au sol. La tête basse, il descendait l’autre versant, d’un pas pesant. Et son regard se perdait dans la tache sombre de son ombre qui s’étirait sous ses pieds.
— Shôtan, tu crois que notre maître nous a abandonnés ?
— J’en ai bien peur, oui… répondit-il en soupirant à celui qui venait derrière lui.
Aussitôt, une vive douleur lui vrilla le flanc. Il avait couru jusqu’ici d’une seule traite et, à quarante ans passés, il n’était plus si résistant.
— Mais il a dû faire halte un peu plus loin, reprit-il, essoufflé. Si on se dépêche, on pourra…
Il s’interrompit. À quoi bon faire tant d’efforts ?
Sans cheval, on ne pourra jamais les rattraper. Et même si on y parvient, à la prochaine attaque de yôma, ils nous abandonneront de nouveau…
— J’en peux plus ! lâcha dans un râle un autre compagnon de Shôtan qui courait à ses côtés.
L’homme mit un genou à terre.
— Tiens bon ! lui dit Shôtan.
Mais l’homme secoua la tête.
— Non, laisse-moi là. Je suis vidé.
— Bon… dit Shôtan en s’arrêtant à son tour.
Un autre les imita aussitôt. Puis un autre encore. Les deux hommes s’assirent immédiatement sur le sol en haletant, puis se laissèrent tomber à la renverse, couchés sur le dos de tout leur long.
S’il suffisait de courir encore un peu pour rattraper les autres, je pourrais les encourager à continuer, mais il n’est pas du tout sûr qu’on puisse y arriver, pensait Shôtan.
Et il s’assit lui aussi. Ses poumons le brûlaient. À chaque respiration, l’air lui raclait la gorge, et un élancement violent dans le bas des côtes le faisait grimacer. Il s’allongea.
Le yôma va venir, c’est certain. Il n’est sûrement pas très loin. Et la distance qui nous sépare de notre maître ne cesse d’augmenter… Mais bon, tout ça n’a plus d’importance maintenant…
Personne ne disait mot. Les uns étaient couchés sur le sol, les autres, assis. Tous respiraient bruyamment pour reprendre haleine. Ils furent bientôt rejoints par d’autres, moins rapides. Voyant que les hommes de tête avaient choisi de faire une pause, ceux-ci en firent autant. Les deux groupes s’échangèrent des regards en silence. Les traits tirés, le souffle court, les nouveaux arrivants s’assirent à leur tour. Aucune parole ne fut prononcée. Tous se taisaient.
Lorsque la lune apparut dans le ciel, d’autres encore continuaient à affluer. Ils se posaient sans rien dire à côté des premiers arrivés, leur mine défaite les dispensait d’exprimer leurs pensées. Dans la cuvette que formait le relief du terrain, les hommes s’entassaient, couchés sur le dos, les yeux tournés vers le firmament.
Leur maître les avait abandonnés. Sourd à leurs cris, il avait pris la fuite en laissant derrière lui tous ceux qui s’étaient chargés de pousser ses chariots. Craignant de s’attirer ses reproches, ils avaient hésité à laisser là ses affaires, mais ils avaient bien vite compris qu’ils n’auraient aucune chance de survie autrement. Poussés par la peur du yôma, ils étaient partis en courant. Cependant, pour des hommes à pied, la probabilité de rattraper une voiture tirée par six chevaux était bien faible…
Presque tous les ascensionnistes possédaient un cheval, si ce n’est plusieurs. Par conséquent, la plupart de ceux qui restaient à l’arrière étaient des suivants abandonnés par leur maître, comme Shôtan. Certains autres étaient des ascensionnistes qui avaient perdu leur cheval au cours de l’attaque du yôma. Mais ils n’avaient pas d’autre choix désormais que de continuer le voyage avec leurs compagnons d’infortune.
Tous avaient couru à perdre haleine en espérant fuir le danger. Qu’auraient-ils pu faire d’autre ? Ils avaient couru pour s’éloigner du yôma, mais ils savaient très bien qu’ils n’étaient pas hors de danger. Ils n’étaient aucunement rassurés. Le monstre pouvait se déplacer beaucoup plus vite qu’eux, cela ne faisait aucun doute.
Cette pensée lancinante avait fini par alourdir leurs jambes et anéantir leurs espoirs. Ils étaient accablés. Résignés, à bout de souffle, ils avaient lentement succombé au découragement. Aussi, quand l’un d’entre eux avait finalement refusé de courir davantage, aucun ne s’y était opposé et tous avaient renoncé à trouver leur salut dans la fuite.
À l’heure où la lune atteignit son plus haut point, ils étaient plus de cent hommes à avoir trouvé refuge dans ce vallon. Aucun ne parlait. De temps en temps, l’un d’eux lâchait un juron entre ses dents, fruit de réflexions solitaires qui ne trouvaient pas d’issue. Aucun de ses compagnons ne lui posait de question.
— La nuit est tombée…
Les paroles flottèrent un instant dans le silence, comme une légère fumée.
— Oui… répondit Shôtan dans un murmure.
La nuit est tombée. Ce qui signifie que le danger est plus grand maintenant. Le yôma n’est peut-être plus très loin.
— Qu’est-ce que ça peut faire de toute façon ! répliqua un autre.
Shôtan acquiesça de la tête.
On nous a abandonnés. Aucun de nous n’était volontaire pour entrer dans la mer Jaune. On n’a fait qu’obéir à notre maître. Et maintenant, voilà où on en est !
Shôtan était un des affiliés de Kiwa. Il ne l’avait accompagné jusqu’ici que parce que celui-ci le lui avait ordonné. Pendant tout le trajet, il avait marché à côté de la voiture de son maître. Il lui était même souvent arrivé de travailler pendant que ce dernier se reposait. Et malgré cela, Kiwa s’était enfui sans se soucier de son sort. Pendant que ses gens étaient attaqués par le yôma, il avait filé au grand galop, les laissant derrière lui. Les faits étaient là.
— Il est à l’aise, lui… entendit-on murmurer.
— Tu l’as dit… approuva Shôtan.
— Grâce à nous, Kiwa a voyagé peinard, et maintenant il nous utilise comme boucliers pour s’enfuir !
— Et il va pouvoir aller tranquillement se réfugier au mont Hô !
— Avec un peu de chance, c’est même lui qui sera choisi, je te parie ! À lui la belle vie et les richesses !
— Quoi !? Un gars comme lui ? Comment veux-tu qu’un type qui abandonne ses suivants soit choisi comme roi ? C’est impossible !
— Pas si sûr… Dans ce monde, c’est pas forcément les plus respectables qui sont aux commandes.
— Ça, c’est vrai…
— De toute façon, qu’il devienne roi ou pas, nous, on n’en saura rien.
— J’aurais quand même bien aimé voir sa tronche si on lui claque la porte au nez au mont Hô ! Dommage…
— Moi, rien que d’imaginer qu’il puisse être couronné, ça me rend malade. Dans le fond, je suis plutôt content de pas voir ça.
— Et moi, pareil !
Les éclats de rire emplirent bientôt l’espace du vallon. Ils riaient d’eux-mêmes, de leur désespoir, du sort qui s’était acharné contre eux. Shôtan aussi riait. Que faire d’autre quand le désespoir est trop grand, et la cause trop ridicule ?
— Hé… Regarde ! dit l’un d’eux aux aguets.
Shôtan se tassa aussitôt, par réflexe. Puis il bondit sur ses pieds, prêt à s’enfuir. Il pensait avoir renoncé à vivre, et voilà qu’à la première alerte, ses sens lui intimaient l’ordre de se sauver ! Autour de lui, la plupart avaient eu la même réaction. Il s’étonna de voir qu’autant parmi eux tenaient encore à la vie.
— Là… Y a quelque chose qui approche…
Ceux qui n’avaient pas bougé levèrent les yeux vers le sommet du talus. Les autres, derrière, se redressèrent à moitié en tendant le cou. De l’autre côté, on apercevait les ondulations successives du terrain.
— C’est le yôma ?
— Non… Je crois pas.
— Y a quelqu’un !
— Notre maître est revenu ?
Tous avaient maintenant le regard braqué dans la même direction.
— Une personne seule…
— Mais c’est…
Ils se turent. Un bruit de pas parvint à leurs oreilles. Des pas légers. Qui se détachaient nettement sur le silence environnant. Et puis une voix, légère elle aussi. Juste derrière la butte.
— Tout le monde est là ?
Après avoir gravi en courant le versant opposé de la butte, une silhouette apparut.
— Ça va ?
Un cri unanime s’éleva au-dessus de l’assemblée. Tous avaient exprimé d’une même voix leur surprise. Shôtan y compris. La gamine était revenue les chercher, toute seule ! Qu’est-ce qu’une simple fillette allait bien pouvoir faire pour eux ? Mais bon, ce n’était pas là l’essentiel, après tout. C’était déjà quelque chose que quelqu’un ait pris la peine de revenir sur ses pas pour se soucier d’eux. Et ils savaient tous que cette fille n’était pas une suivante, mais bien une ascensionniste.
Un cri de joie succéda au précédent. Shushô s’arrêta, hésitante, étonnée d’une telle effusion. Elle promena son regard sur l’attroupement.
— Votre accueil fait chaud au cœur… mais je dois vous dire… je n’ai rien avec moi. Ni armes ni provisions. Et en plus, je suis toute seule…
— C’est pas grave ! cria quelqu’un dans la foule.
— Vous êtes sûrs ? Et tout le monde va bien ? Pas de blessés ?
Elle se reprit aussitôt, un sourire gêné sur les lèvres.
— Désolée, je dis des bêtises. Il y en a sûrement. En tout cas, je suis contente de voir que vous êtes si nombreux.
Shôtan fixait la fillette, le regard plein de gratitude. Pour des gens comme eux, qu’un ascensionniste puisse se soucier de leur sort était bien plus important que de savoir ce qu’il aurait pu faire en leur faveur.
— Où sont vos affaires ? continua Shushô.
L’un des hommes lui expliqua, sur le ton de l’excuse, qu’ils avaient dû les abandonner. Il craignait sans doute ses reproches.
— Oui, évidemment, c’est normal. Pour fuir, ce n’est pas très pratique. Mais il faut qu’on les récupère, parce que sans eau ni vivres, on ne pourra pas continuer.
— Continuer ? dit Shôtan, à voix basse.
Shushô se tourna vers lui.
— Ah, vous étiez dans le groupe de monsieur Shitsu, vous. Vous êtes sain et sauf, je vois. Tant mieux.
— Oui, mais…
— Allons tout de suite récupérer ces affaires. Tout le monde peut marcher ?
— Bien sûr, mais…
— Si nous ne faisons rien, nous allons tous mourir de faim. Il faut absolument qu’on trouve de quoi manger. Est-ce que certains, parmi vous, ont gardé un peu d’eau ou des vivres ?
Quelques mains se levèrent.
— Je vois… Manifestement, ce ne sera pas suffisant pour tout le monde.
— Mais…
Même si on réussit à retrouver nos affaires, on fera quoi après ? Nous n’avons pas de cheval…
— Qu’est-ce qu’il y a ? reprit Sushô en voyant Shôtan sceptique. Nous avons besoin de ces affaires, non ? À moins que vous ayez renoncé à continuer ?
Elle sourit.
— Vous savez, on peut y aller à pied, au mont Hô. Et une fois là-bas, on est tranquilles, les yôma ne peuvent plus nous attaquer. Alors, ne perdons pas de temps. Il faut bouger maintenant ! dit-elle avec entrain.
Elle s’avança au milieu des hommes attroupés.
— Mais, mademoiselle… mademoiselle Shushô…
— Écoutez, on a bien dû marcher pour venir jusqu’ici, non ? Et on a déjà fait le plus gros du trajet. Ça fait presque un mois qu’on est partis. Il ne nous reste pas plus de quinze jours pour arriver au bout. Alors, quoi ? Vous voulez vous arrêter ici ?
— Mais le yôma… ?
— Ce n’est pas le premier yôma qui nous attaque. Et puis des yôma, de nos jours, il y en a même en dehors de la mer Jaune. Si nous sommes là, aujourd’hui, c’est que nous avons eu de la chance. Il n’y a pas de raison qu’elle nous quitte. Vous pensez qu’on va tous mourir en chemin si on se rend au mont Hô ? Moi, je ne crois pas.
— Mais c’est…
— Par contre, c’est clair qu’on ne pourra pas tenir très longtemps sans boire ni manger.
— Et le retour, vous y pensez au retour ?…
— C’est vrai… Le shushi que j’avais embauché transportait des provisions pour deux personnes, aller et retour… Mais à mon avis, n’importe quel homme un peu costaud est capable de porter un tel poids. Sans compter qu’il nous suffit d’avoir de quoi faire l’aller, en fait.
— Pourquoi ?
— Parce que, au mont Hô, il y a le kirin ! Si autant de personnes devaient mourir de faim devant sa porte, il mourrait sur-le-champ. Les gens qui l’entourent feront tout pour l’éviter. Donc ils nous donneront forcément de quoi manger. Et si jamais ils ne veulent pas nous donner suffisamment pour retraverser la mer Jaune, eh bien, nous resterons là-bas, et nous exigerons qu’ils nous donnent des vivres pour rentrer chez nous jusqu’à ce qu’ils acceptent. Après tout, mieux vaut compter sur le kirin que sur un homme qui abandonne ses suivants, pas vrai ? Le kirin est un être de compassion, lui !
Shôtan n’en revenait pas. Il pouffa de rire.
— C’est vrai, oui…
— Bon. Maintenant, faut y aller. Le yôma a dû quitter les lieux. Jusqu’à présent, les yôma ne se sont jamais éternisés sur les lieux après une attaque. Donc, on se met en marche, on retourne là-bas et on récupère nos affaires. Chacun prendra ce qu’il lui faut pour la route. D’accord ?
Lentement, les hommes commencèrent à se relever.
— Allez ! Du courage ! Au mont Hô, tout le monde a sa chance pour devenir roi, parce que tout le monde voit le kirin ! Dans un sens, les suivants des ascensionnistes sont aussi des ascensionnistes, pensez-y. Alors faites un effort ! Montrez-vous dignes des ascensionnistes que vous êtes !
Cédant aux encouragements de Shushô, ils se mirent progressivement à marcher. On voyait à leur allure qu’ils n’étaient pas encore très rassurés.
Ce sera sûrement pas aussi facile qu’elle pense, se dit Shôtan.
Mais même si les prévisions de Shushô semblaient un peu trop optimistes, au moins offraient-elles une perspective.
À bien y réfléchir, ce serait dommage de mourir ici, pensa Shôtan.
— Ne vous éloignez jamais les uns des autres, reprit Shushô. Il faut toujours rester groupés et bien surveiller les alentours. Si vous voyez une ombre suspecte, criez. Et si vous entendez un cri, sauvez-vous. Ne vous souciez pas des autres. Pensez d’abord à votre propre sécurité.
— Mais le yôma court si vite !
Shushô poussa un soupir.
— Oui, je sais. Sauvez-vous quand même. Courez vous cacher sous des arbustes ou derrière un rocher.
Shôtan écarquilla les yeux.
— Nous cacher ? C’est pas…
— Si vous ne trouvez pas d’arbustes ou de rochers, couchez-vous à plat ventre sur le sol. Collez-vous contre quelque chose, n’importe quoi, des broussailles, des cailloux… et ne bougez pas. Surtout, ne faites pas de bruit. Le yôma ne pourra pas vous voir. Et n’ayez pas peur. C’est comme ça que j’ai été sauvée, moi. On vous a pas raconté ?
— Ben non…
— Le yôma était tout près de moi. À peu près comme vous, là, maintenant. Il était juste au-dessus de ma tête. Dans les branches d’un arbre. Moi, j’étais couchée en dessous, pétrifiée. Je n’osais pas bouger. Alors, je suis restée là, immobile. Et en fin de compte, il ne m’a pas attaquée. Et me voilà ! Vivante !
Tous ceux qui se trouvaient autour d’elle saluèrent son récit de quelques « ouais, ouais » approbateurs. Ils semblaient convaincus.
Revigorés par ses paroles, ils accélérèrent le pas. L’aube pointait à l’horizon quand ils atteignirent l’endroit où ils avaient abandonné leurs affaires.
Comme les autres fois, le yôma était parti en laissant les corps sur place. Chacun s’empressa de ramasser ce dont il avait besoin. Mais quand tous lurent chargés, ils se sentirent trop fatigués pour repartir. Ils ne pouvaient plus marcher.
Shushô leva les yeux vers le soleil naissant.
— Plus loin, on ne trouvera pas d’endroit où se cacher. Il vaut mieux nous reposer maintenant pendant qu’il fait jour. Les yôma sont moins actifs.
— On dort le jour ? Ce qui veut dire qu’on va marcher…
— ... pendant la nuit, oui. En forêt, c’est dangereux. Parce qu’on ne voit rien et que le yôma peut facilement se dissimuler. Mais ici, le terrain est dégagé. Même en pleine nuit, avec la lune, on le verra s’il approche.
— Ah… oui, bien sûr.
— Les yôma n’aiment pas la lumière. Ils sont capables de voir la nuit, mais du coup, ils voient mal en plein soleil. Si on dort dans la journée en se glissant sous des arbustes ou en se collant contre un rocher sans bouger, ils ne nous trouveront pas.
— Ouais.
— Bien. Alors dormons maintenant ! Il nous faut récupérer des forces pour la nuit prochaine, on en aura besoin. Gardez vos affaires près de vous pour les avoir à portée de main en cas d’urgence. L’eau, surtout. C’est important. L’idéal, c’est de passer le cordon de sa gourde autour du poignet. Compris ?
Ils marchaient en rangs serrés, l’œil aux aguets, choisissant toujours les itinéraires qui offraient le plus de visibilité. Shushô avait pris la direction des opérations, et nul ne lui en avait contesté l’autorité. Il est vrai qu’ils étaient tous plus habitués à recevoir des ordres qu’à prendre des initiatives.
Plusieurs fois, ils furent attaqués par le yôma. Et à chaque attaque, ils fuyaient en abandonnant les moins chanceux aux prises avec le monstre. Ils se cachaient alors derrière des arbustes ou des rochers, et cette stratégie avait fini par porter ses fruits : ceux qu’ils laissaient derrière eux se faisaient chaque fois moins nombreux. Ils reprenaient courage. De plus, l’expérience leur avait appris qu’en se mettant à l’abri avec celui qui marchait à leurs côtés, plutôt que seuls, ils risquaient moins de succomber à la peur et de se faire repérer. Sitôt le yôma reparti, ils n’avaient plus ensuite qu’à aller récupérer leurs affaires et à reprendre leur marche.
Trois jours s’écoulèrent ainsi. Trois jours d’une avancée entrecoupée de cris et de fuites apeurées. Le nombre des marcheurs diminuait, mais la plupart étaient encore là, cheminant derrière Shushô d’un pas décidé. Le voyage continuait.